Jean Price-Mars

Jean Price-Mars est né à la Grande-Rivière du Nord (Haïti) le 15 octobre 1876 et est mort à Pétionville (Haïti) le 1er mars 1969. À la fois médecin, ethnographe, diplomate, homme d’état, pédagogue et écrivain, il est considéré comme le principal maître à penser haïtien du XXe siècle.

Jean Price-Mars perd en bas âge sa mère et est élevé par une grand-mère catholique et un père protestant dans une ambiance de tolérance religieuse. C’est son père qui assure lui-même ses études primaires en intégrant, dans son enseignement général, certains éléments du folklore haïtien, et même parfois le créole. Jean Price-Mars débute ensuite ses études secondaires au Lycée Grégoire du Cap-Haïtien et les achève au Lycée Pétion à Port-au-Prince. Il reçoit en 1899 une bourse qui lui permet d’entreprendre à Paris des études en médecine qu’il ne finira que 22 ans plus tard. En même temps, il s’engage dans d’autres études – en sciences humaines et sociales – en fréquentant la Sorbonne, le Collège de France et le musée du Trocadéro. Peu après, il débute une carrière diplomatique qui s’étendra sur une période de plus de 50 ans. Ses nombreux séjours officiels en Europe lui permettent d’approfondir ses connaissances dans de nombreux domaines, et en particulier sur l’Afrique.

Son souci constant d’améliorer le sort de l’Haïtien moyen a largement nourri sa contribution à la théorie de la diaspora africaine et au panafricanisme culturel. La production prolifique de Price-Mars repose sur des méthodes historiques et comparatives. Son ouvrage majeur Ainsi parla l’oncle (1928), écrit en français, étudie les fondements à la fois historiques et folkloriques de la culture haïtienne. Price-Mars y affirme que les Haïtiens ne sont pas des « Français colorés », mais des hommes nés en des conditions historiques déterminées et ayant un double héritage, français et africain. Ainsi parla l’oncle est la première tentative de réaliser une étude systématique de la culture des masses haïtiennes en la plaçant dans le cadre de la communauté nationale. Écrit pendant l’occupation américaine d’Haïti (1915-1934), ce livre pionnier vise clairement le but de soutenir le moral des Haïtiens en développant un nationalisme culturel.

En fondant l’Institut d’Ethnologie à Port-au-Prince en 1941 – où il occupe les chaires de sociologie et d’africologie jusqu’en 1947 – Price-Mars a joué un rôle majeur dans le développement des sciences sociales en Haïti. Dans un contexte plus large, dans un monde encore essentiellement colonial, la création d’un centre de recherche permettant de former des ethnologues haïtiens en Haïti est un exemple notable de décolonisation du savoir anthropologique. L’influence des travaux de Price-Mars dépasse largement le cercle, sur plusieurs générations, des écrivains, des scientifiques et des artistes haïtiens. L’influence des travaux de Price-Mars dépasse largement le cercle, sur plusieurs générations, des écrivains, des scientifiques et des artistes haïtiens. Son autorité ethnographique, ses écrits et ses recherches sont une source d’inspiration et d’innovation pour les élites de la diaspora africaine du Nouveau Monde et de l’empire colonial français.

C’est dans le Paris des années 1930 (La revue du monde noir, le salon de Paulette Nardal) que Price-Mars se lie avec d’autres intellectuels de la diaspora d’Afrique et des écrivains de la « Harlem Renaissance ». Le mouvement de la Négritude, qui a contribué largement au nationalisme culturel d’Afrique, émerge de l’effervescence idéologique et littéraire de ces milieux. En 1956, lors du premier Congrès des écrivains et artistes noirs à Paris, Jean Price-Mars est élu président à l’unanimité. La même année, il devient le premier président de la Société Africaine de culture, un organisme lié à l’Unesco. Cette reconnaissance sur le plan international lui vaut d’être considéré comme l’homologue francophone de W.E.B. Dubois par certains spécialistes du panafricanisme.

Auteur de plus d’une centaine d’articles, de discours et de conférences dans les domaines de l’anthropologie, l’histoire, la pédagogie, la politique et la littérature, Jean Price-Mars a reçu plusieurs prix et distinctions : Légion d’Honneur (Paris) en 1956 ; doctorat honoris causa de l’Université de Paris en 1957 ; membre de l’Académie des Sciences d’Outre-mer (Paris), du comité d’honneur de l’ADELF (Association des écrivains de langues française, alors nommée AEFMOM, Paris), candidat au Prix Nobel de littérature, médaille d’argent du prix de la langue française de l’Académie française en 1959 ; premier lauréat du Prix littéraire des Caraïbes en 1965 ; Grand-Croix de l’Ordre de Malte ; commandeur de « El Sol » du Pérou ; Grand Cordon du Chêne du Liban ; etc. En 1966, il est invité au Sénégal, indépendant depuis peu, où il est nommé Docteur Honoris Causa de l’Université de Dakar. Le président et poète Léopold Senghor reconnaît alors son influence dans l’émergence du concept de la Négritude.

Pionnier de son temps, Price-Mars reste aussi très actuel. Au-delà d’un discours savant sur l’Afrique matrice, il a élaboré un nouveau modèle esthétique inspiré de faits historico-culturels et profondément ancré dans l’écologie et le champ référentiel antillais. Ses idées devancent ainsi de plusieurs générations celles des Antillais prônant la Créolité et dont les œuvres occupent aujourd’hui une place non négligeable sur la scène littéraire internationale. En 1959, l’Académie Française a accordé à Price-Mars un prix spécial qui distingue l’ensemble de son œuvre.

Bibliographie

— La Vocation de l’élite. Port-au-Prince : Edmond Chenet, 1919 ; Port-au-Prince : Ateliers Fardin, 1976 ; Port-au Prince : Les Éditions des Presses Nationales d’Haïti, 2001.

— Joseph Anténor Firmin. Port-au-Prince : Imprimerie du Séminaire Adventiste, 1978 (posthume).

— Lettre Ouverte au Dr. René Piquion, directeur de l’Ecole normale supérieure, sur son manuel de la négritude. Port-au Prince : Éditions des Antilles, 1967.

— Vilbrun Guillaume-Sam : ce méconnu. Port-au-Prince : Imprimerie de l’État, 1961.
(Ébauches, 2e série) De la préhistoire d’Afrique à l’histoire d’Haïti. Port-au-Prince : Imprimerie de l’État, 1962.

— Silhouettes de nègres et de négrophiles. Paris : Présence Africaine, 1960.

— De Saint Domingue à Haïti : Essai sur la culture, les arts et la littérature. Paris : Présence Africaine, 1959.

— Le bilan des études ethnologiques en Haïti et le cycle du Nègre. Port-au-Prince : Imprimerie de l’État, 1954.

— La République d’Haïti et la République Dominicaine. Port-au-Prince : s.n., 1953 ; Lausanne : Imprimerie Held, 1954.

— Jean Pierre Boyer Bazelais et le drame de Miragoâne : à propos d’un lot d’autographes, 1883-1884. Port-au-Prince : Imprimerie de l’État, 1948.

— Contribution haïtienne à la lutte des Amériques pour les libertés humaines. Port-au-Prince : Imprimerie de l’État, 1942.

— Formation ethnique, folkore et culture du peuple haïtien. Port-au Prince : Éditions Virgile Valcin, 1939.

— Une étape de l’évolution haïtienne. Port-au-Prince : Imprimerie La Presse, 1929.

 
Hommage de Jean Morisset


Source : Site Internet Littérature des îles - Île en île

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